Les Evangélistes ne nous ont pas écrit une biographie de Jésus, ni dressé son portrait psychologique. Mais ils témoignent de l’attitude de Jésus en particulier dans ses rencontres, ses enseignements, sa pratique de la Loi, son existence quotidienne.
Je vous propose donc de suivre un guide confirmé en la personne de Marc.
Parcourons son Evangile et relevons les éléments qu’il nous donne.
J’y ajouterai ici où là un renvoi aux autres Evangiles marqué >>>
1-Le choix de ses disciples
1,16-20 2,13-14
Il appelle derrière lui, pour un métier ‘inconnu’ pêcheur d’hommes Et ils suivirent
Il appelle à quitter métier, habitation, biens et famille pour devenir itinérant avec lui.
C’est lui qui ouvre la marche (10,32)
3,13-19 (6,7) Il appela ceux qu’il voulait. Ils vinrent auprès de lui, et il en institua douze pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer…
Jésus se présente comme un Maitre qui choisit et appelle ses disciples. On ne choisit pas d’être avec lui (5,18). >> Jn15, 16 ce n’est pas vous qui m’avez choisi…
Il invite à la liberté face à la généalogie et aux liens du sang, liberté aussi de suivre et s’attacher.
Jésus invite à des liens nouveaux dont l’origine est une parole à laquelle on répond.
2-Son activité de guérisseur
1,41 Pris de pitié devant le lépreux, Jésus étendit la main et le toucha
Il répond aux attentes des gens simples et sa bonté (et ses gestes interdits) manifeste sa proximité. Il manifeste une puissance qui, par le recul de la maladie, est un signe (cf. 2,9-12).
Il se manifeste comme libérant du mal et des exclusions.
2,5 Il ose même aller plus loin : il pardonne les péchés, voyant la foi. Il ne s’enferme pas dans une comptabilité légaliste, mais relève, tourne vers l’espérance et envoie.
1,23 Il entre aussi en conflit avec l’esprit mauvais et rend l’humanité aux possédés. Il délivre des puissances extérieures qui tourmentent et déshumanisent.
5,1-20 7,24-30 Son activité ne se limite pas au territoire juif. Il va en terre païenne et y guérit. Les païens eux aussi bénéficient de son action contre la maladie et les démons.
Jésus est libérant du mal sous toutes ses formes, mais aussi des frontières et des étiquettes.
3-Les transgressions du sabbat
1,21 2,23-28 3,1-6
Ses désobéissances à la Loi entrainent des oppositions. Mais Jésus indique le sens de son activité contestataire. Il rappelle la liberté prise par David et remet le sabbat dans la perspective de la vie humaine. Marc mentionne sa colère (3,5) devant l’endurcissement des cœurs, c'est-à-dire devant le renversement des priorités sous prétexte d’honorer Dieu.
Son combat est pour l’homme (concret) et pour Dieu.
4-Son indépendance face à l’engouement des foules
1,37-38 11,1-11 (cf. 6,45-46 8,9)
S’il est proche des petits et de la foule, il n’en est pas prisonnier, ni ne sert d’eux. Il ne cherche pas à être bien vu, populaire, et met même en garde ses ‘followers’ (8,34-38) : marcher derrière lui, c’est renoncer à soi, prendre sa croix, perdre sa vie pour la sauver.
Comme slogans publicitaires, on fait mieux.
Plusieurs fois nous voyons Jésus s’esquiver, craignant des malentendus ou recherchant silence et solitude pour prier. >>> Jn 6,15
5-Ses fréquentations douteuses
2,15 Jésus fréquente les gens de mauvaise réputation : collecteur d’impôts voleurs et collaborateurs, pécheurs, malades, petites gens, païens,… « s’il partage leurs habitudes, c’est qu’il est pécheur comme eux. Aucun homme croyant n’oserait vivre ainsi ! »
Mais Jésus indique le sens de son action : le médecin fréquente les malades. Il n’a peur ni des infréquentables, des intouchables, ni de la réputation que cela lui fait.
6-La relativisation de certaines pratiques
2,18 le jeûne
7,1 se laver les mains
Après le non respect du sabbat, voila que la contestation de l’origine divine de ces observances (avec l’appel au prophète) envenime les relations avec les scribes et les pharisiens. Nous y reviendrons.
7-Les liens familiaux
3,21 3,31-35 6,1-6
Sa famille prétend qu’il a perdu la tête. Lui n’est pas esclave des liens du sang : sa famille ce sont ceux qui écoutent et font la volonté de Dieu.
Jésus n’est ni d’une famille, ni d’un groupe, ni d’un village ; il est de Dieu (1,1 ; 1,11 ; 15,39 ; 16,19)
C’est aussi, ce détachement qu’il a demandé à ses disciples (10,28-30)
8-Une attention spéciale aux enfants
Si des parents viennent demander guérison pour leurs enfants (juifs 5,21et 9,17 ou païenne 7,24), Jésus par deux fois, présente les enfants à ses disciples comme des signes d’accueil de lui-même ou du Royaume (9,36 10,13)
9-Un libre rapport à la Loi
Si Jésus tient nombre de pratiques pour humaines (7,1 lavage de mains, 7,9 la pratique corbane , 7,15 les interdits alimentaires,10,1 le divorce), c’est que la Loi a deux exigences : l’amour de Dieu et du prochain (12,28-34). A cette aune seule, se mesure la fidélité à la Loi.
Cette pratique de Jésus transgresse la lettre par amour de Dieu et du prochain.
>> Mt 5-7 : les Béatitudes, la relecture de la Loi, les conseils sur l’aumône, le jeûne ou la prière, expliquent la règle de conduite de Jésus.
Et comme dans l’ultime Béatitude ou dans la parabole du jugement dernier (Mt 25), suivre Jésus à son appel et ses conditions, est l’ultime accomplissement de la Loi pour la vie éternelle (10,17-22)
10-Un faible intérêt pour le Temple 13,1-2
Une critique du trafic qui s’y passe 11,15-17
Mais une admiration sans borne pour un fait qui s’y passe et que nul autre que lui n’a vu 12,41-44
11-Une liberté de parole
Pour oser prendre la place de Dieu 2,5
Pour parler du royaume avec les mots de tous les jours 4,1-34
Pour appeler à sa suite 10,21
Pour proposer une manière de vivre 10, 42-45
Pour remettre en place les autorités religieuses 12,1-12
12-A cause de sa prétention à pardonner les péchés 2,8
ses fréquentations 2,15
son attitude face au Sabbat 2,24 3,1 aux pratiques 7,1
les relations sont tendues avec les scribes qui l’accusent d’être possédé par le diable 3,22-30
lui demandent un signe et sont déboutés 8,11-13
lui tendent des pièges 10,1-2 12,13-17
Et même les sadducéens ne craignent pas le ridicule 12,18-27
Jésus fréquente les groupes religieux, mais tient pour nulle leur autorité qui interprète la Loi et fait peser des fardeaux sur les petits
Mais il se laisse toucher par la demande d’un chef de synagogue pour sa fille 5,22 et même remarque la proximité du Royaume pour un scribe 12,28.
>> En Jn 3 il a une passionnante discussion avec Nicodème notable pharisien.
Ce conflit est pour Jésus le souci des petits et la liberté de Dieu.
Mais lors de ces échanges, ses adversaires posent la bonne question :
11,27-33 par quelle autorité fais tu cela ?
Déjà Marc avait noté les réflexions de ses contemporains
1,21-28 On était frappé par son enseignement car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. (cf. 6,1-5)
Jésus déroute, irrite et contraint à prendre parti. Ce qu’il dit commente ce qu’il fait.
13-Face à la mort
Jésus a commencé à parler de son itinéraire en perspective de sa mort.
8,31 il parle de souffrance pour la première fois, de rejet par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, c’est-à-dire par les notables, l’aristocratie religieuse et les savants, d’être tué sanction radicale et après trois jours et se lever.
Après un questionnement sur son identité (8,27-30) et l’invitation à se taire, Jésus raconte un parcours et le dit ouvertement. D’où la réaction de Pierre pour qui le parcours indiqué ne correspond pas à ce qu’il mettait sous le titre de Christ. Pierre est le Tentateur et Jésus dit adhérer aux pensées de Dieu.
9,30 Une deuxième fois Jésus annonce son parcours mais a du mal à se faire entendre.
10,32 Une troisième fois sont énoncées les diverses actions que va subir le fils de l’homme. Mais les disciples parlent d’autre chose.
14,8 au cours du repas chez Simon le lépreux, Jésus fait une lecture originale du gaspillage du parfum. Il l’interprète comme signifiant sa mort : un parfum perdu pour un corps perdu.
14,18 l’un de vous va me livrer. Ce n’est pas la trahison qui est envisagée, mais la manipulation, la vente à la suite d’un marché et le passage de main en main au quel Jésus sera soumis à partir de son arrestation.
14,22-25 Jésus prend du pain, rend grâce à Dieu de ce don, le partage et le donne ; il invite à prendre et sa déclaration ceci est mon corps le dépossède de son corps.
De même la parole sur la coupe transforme l’acte de marchandisation en don.
Comme le parfum, le pain et la coupe interprètent sa mort par anticipation.
Jésus est un don pour ses disciples, une alliance pour la multitude, plus qu’une marchandise pour le livreur et les meurtriers.
14-Face au Grand Prêtre et à Pilate
En réponse à leurs questions sur son identité, Marc insiste sur le silence de Jésus. Comme si cela était hors du débat conduit par ces deux autorités.
Ce n’est pas là que doit être débattue la question de son identité.
15-L’impression sur ses contemporains
1,21-28 On était frappé par son enseignement car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes.
6,1-5 d’où cela lui vient-il ?
11,27-33 par quelle autorité fais-tu cela ?
Jésus adopte une attitude qui conteste la fonction qu’on faisait jouer à la Loi.
Sa prédication destinée à tous, son activité de guérisseur, sa proximité, son annonce du pardon des péchés, manifestent une « autorité » qui annonce le règne de Dieu.
Et ce n’est pas une attitude craintive que l’on a face à lui.
Ce terme d’autorité, nous pourrions le traduire par « homme libre », confirmée par le comportement de ses opposants, l’admiration des foules ou l’attachement de ses disciples.
Jésus dans l’Evangile nous est donc tout à la fois donné et voilé.
L’étonnement est notre réaction face à cette présence, c’est ce que ses contemporains mettaient sous le terme de « prophète ». (6,15 ; 6,4)
Etait prophète celui sur qui reposait l’Esprit de Dieu. Et Marc nous indique (1,10) que l’Esprit
descend sur lui et nous rapporte l’accusation (3,22-30) portée contre Jésus de chasser les démons par l’autorité de Beelzéboul.
Prophète par sa fidélité à sa mission, par sa liberté, par l’annonce d’exigences, par son sens de Dieu.
Prophète habité par l’Esprit.
Et ce sera bien comme faux prophète qu’il sera condamné dans le procès religieux (14,63-65).
>>> en Luc 24 c’est par ce terme que les disciples sur la route d’Emmaüs décrivent Jésus.
Sa mort signifiait que les autorités religieuses avaient raison.
16-L’annonce du matin, le premier jour de la semaine
16,6 Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé. Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit.”
Le corps du supplicié a un nom : Jésus de Nazareth. Le mode de sa mort est rappelé et non son état de mort, car il s’est réveillé. Et pour les femmes il s’agit d’aller et de dire.
Jésus précède les disciples. Une annonce est à mettre en œuvre : aller pour le voir.
Ce matin-là en s’imposant aux disciples incrédules, la résurrection signifie que Dieu approuve sa parole, son attitude, sa liberté.
Ni ses contemporains, ni ses disciples, ni ses adversaires, n’ont séparé les actes de Jésus de ses paroles. Son attitude se fonde sur son attitude filiale.
Marc est le seul à rapporter à Gethsémani, la parole de Jésus Abba (14,36) et à mettre dans sa bouche dès le Ch. 1 Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. (v 38).
Jésus rend libre
Le mot théologique pour dire cela est : rédemption.
L’homme enfermé dans le péché est sauvé par la mort et la résurrection de Jésus le Christ.
Jésus apporte pardon, réconciliation et vie à l’humanité.
Souvenons-nous : dans ses controverses, ses attitudes, Jésus prend en compte l’homme concret, ouvre à l’avenir, guérit, redresse, envoie. Il ne partage pas le point de vue de ses contradicteurs : le souci de la Loi et de son application. Car Dieu et l’homme sont piégés dans ce système ; ils se trouvent même à devenir ennemis ; et poussant au XXI° siècle, j’ajoute que cette logique va jusqu’à pouvoir assassiner pour la gloire et l’honneur de Dieu !
Jésus libère d’une image de dieu.
Un dieu requis au service d’intérêts particuliers
Un dieu garant des oppositions entre les hommes
Un dieu caution d’injustice, d’oppression, de haine et de mort
Une idole sans cesse reconstruite depuis le veau d’or.
Jésus rend libre
Le mot théologique pour dire cela est : rédemption.
L’homme est enfermé dans le péché et Jésus proclame le pardon et invite au pardon.
Souvenons-nous de ce qu’il dit au paralytique de Capharnaüm.
Mais arrêtons-nous en 11,25 : Et quand vous êtes debout, en train de prier, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez lui, pour que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes.
Lorsque l’on est debout à prier, on ne doit pas oublier ce que l’on a à faire à l’horizontale : double relation encore une fois signalée.
Cet acte risqué brise le cercle vicieux, l’engrenage du mal, afin qu’il n’ait pas le dernier mot.
Acte d’espérance et d’avenir.
Jésus libère d’une logique qui porte la mort.
Nul n’est définitivement enfermé dans la haine
Nul ne doit faire sienne la logique de l’adversaire
Nul ne peut prendre parti du destin que tisse le péché.
La liberté à laquelle nous invite Jésus est d’être créateurs et responsables
Créateurs de notre histoire et responsables de notre histoire
A la seule mesure de l’amour de Dieu et du prochain.